Alors que la dernière édition d’Afropunk s’est achevée il y a peu, nous revenons sur ce phénomène devenu planétaire en à peine une décennie.
Cette année le fameux festival new-yorkais a vu défiler des poids lourds de la musique, Lauryn Hill et Grace Jones entre autres, sous le soleil de Brooklyn. Quelques semaines plus tôt l’édition parisienne – une première en dehors des frontières américaines – faisait salle comble au Trianon.
L’histoire commence avec un jeune noir Américain.
James Spooner aime une musique que l’on croit alors n’être appréciée que par les Blancs. Dans le milieu des années 80, le punk-rock a des codes et un univers qui semblent ne pas correspondre socialement, culturellement, musicalement, aux goûts des artistes noirs de l’époque.
Elevé sur les deux côtes des Etats-Unis, James Sponner s’installe finalement avec sa famille à New York lorsqu’il a 14 ans. Dans cette ville foisonnante et créative, le jeune homme rencontre d’autres passionnés de musique. Punks ou dingues de hardcore, comme lui ils sont noirs et métis et aiment The Clash et The Sex Pistols. Commence alors une quête identitaire qui mènera Sponner aux quatre coins des Etats-Unis. Il en résultera un documentaire qui va au-delà de la musique, dans le plus pur esprit punk du « Do It Yourself », et qui deviendra une référence dans les festivals cinématographiques et le point de départ de l’aventure AFROPUNK.
Le but du documentaire était de montrer aux jeunes Noirs qui comme le réalisateur avaient vécu dans des environnements où ils se sentaient isolés qu’ils n’étaient pas seuls, que le punk n’était pas un genre musical réservé à un groupe ethnique.
Par ailleurs le fait de se référer régulièrement à une « Black music » réduite à quelques genres musicaux tend à circonscrire les productions des artistes noirs à des genres particuliers, comme s’ils formaient un bloc monolithique. Afropunk est né pour donner de la visibilité à une diversité artistique que ne célébraient pas suffisamment les médias mainstream et rappeler que le rock puise justement ses racines dans les musiques produites par des Noirs. Cette réappropriation constitue une petite révolution au sens premier du terme : un retour aux inspirations originales de la musique « blanchie » par l’histoire.
Aujourd’hui, douze ans après la première session du festival de Brooklyn, le mouvement est devenu gigantesque et international. Afropunk est une plateforme créative/alternative sans précédent où les artistes punks noirs, musiciens, danseurs, peintres, cinéastes, stylistes, photographes s’expriment en toute liberté. Et, à l’instar des autres grands festivals de musique comme Coachella ou Woodstock (festival musical phare de la culture hippie des années 1960-70, véritable marqueur politique et générationnel), Afropunk est une explosion de styles, de tendances autant sur scène que dans le public.
Au delà de l’évènement musical, Afropunk se présente comme un véritable mouvement, dont les actions ont une portée socioculturelle et politique. Conçu comme un « safe space » un espace dans lequel toutes les individualités même les plus originales se sentent en sécurité, le Festival s’est fixé un certain nombre de règles énumérées ainsi : Non au Sexisme, au Racisme, à l’Handiphobie, à la Transphobie, à la Grossophobie ou encore à l’Agisme. Un véritable manifeste !
Cet espace est prolongé sur Internet via notamment une page Facebook suivie par près de 450000 personnes. Les articles postés régulièrement sont très engagés dans les débats actuels, on a pu lire de nombreux posts relatifs aux violences policières qui se sont répandues aux Etats-Unis ces derniers mois. Le festival a même donné la possibilité à ses visiteurs de faire une donation à l’association Color of Change pour permettre de financer une enquête indépendante sur la mort de Sandra Bland, une jeune femme noire morte dans des circonstances troubles après avoir été illégalement arrêtée au Texas.
La page Afropunk vise aussi à faire évoluer l’imaginaire collectif par le biais de photos postées quotidiennement : « l’Afro du Jour », une personne noire portant ses cheveux naturels. Une manière d’imposer une esthétique nouvelle tout en douceur !
Punk is not dead ! Bien au contraire ! Mais, si dans le domaine de la musique (héritage de Jimi Hendrix largement reconnu) et de l’idéologie contestataire (déconstruction des codes traditionnels) la filiation semble établie, en terme de mode que reste-t-il des codes vestimentaires du punk des années soixante-dix ?
Soyons honnêtes : les crêtes trash et les look punks noirs et blancs venus de Londres, ne sont peut-être pas ce que la mode a connu de plus heureux. Et c’est avec un certain soulagement, que nous pouvons observer que les acteurs du mouvement Afropunk, artistes connus ou simples anonymes semblent plus inspirés par Vivienne Westwood (icône du stylisme londonien des années 70/80) que par Sid Vicious (membre fondateur des Sex Pistols).
Le noir et blanc est toujours présent, comme on peut le constater dans les œuvres du photographe Phill Knott.
Et chez le collectif d’artistes d’Art comes firt.
Ou sur de nombreux branchés très inspirés par le style de l’artiste Jean-Michel Basquiat.
Le cuir et l’esthétique hardcore se manifestent aussi par pointe dans les accessoires tels que les blousons de rockers ou sur les tatouages.
Mais la couleur prend souvent le dessus et avec elle, une vague de créativité joyeuse balaie toute confusion sur les idées reçues que l’on pourrait avoir d’un punk agressif et exclusif. C’est une générosité sans précédent que la styliste que je suis observe avec émerveillement. Générosité dans la créativité, générosité dans la mixité. Une liberté totale d’inspiration, qui pousse à des mélanges de styles absolument inédits et parfois improbables.
On retrouve de nombreuses influences africaines traditionnelles dans les bijoux, les tissus wax et les coiffures. Les looks traduisent une volonté de montrer ce que nos générations ont digéré et choisi de garder de plus beau, de plus majestueux dans une flamboyance que chacun se réapproprie selon son background personnel. « Come as you are ! » est d’ailleurs l’un des slogans du festival.
Ainsi chaque look semble individuel ; difficile de tirer un portrait unique de ce qu’est le « Style Afropunk ». Il est libre, émancipé des codes passés et actuels, mais chargé d’histoire personnelle.
Pourtant, ne soyons pas dupes. Il n’en demeure pas moins ancré dans une société dominée par le marketing où l’alternatif est à la mode. Et c’est donc sans grand étonnement que nous retrouvons les mix déjantés et colorés des enfants de l’Afropunk dans les pages modes des magazines tels que Vogue, Talter,…. Ou encore dans des publicités pour des marques de prêt-à-porter.
Mais comment reprocher l’engouement des grandes marques pour le phénomène Afropunk ? Woodstock, à son époque (1969) avait secoué en profondeur les mentalités de l’Amérique de Nixon et marqué d’un sceau indélébile l’esthétique des prochaines décennies. Souhaitons longue vie à Afropunk ! Punk is not dead !!!!!!!!!!!
Gayanée Pierre avec la contribution de Rokhaya Diallo
Merci à SainaSix pour ses magnifiques illustrations
* Gayanée PIERRE est styliste pour de nombreuses personnalités françaises. Elle vit est travaille à Paris. Vous pouvez la suivre sur Twitter et Instagram.